C’est en 1983 que Tsira NDONG NDOUTOUME nous a accordé cette interview, dans sa résidence d’Oyem. Nous étions frappé, à l’époque, par les différences qui apparaissaient dans le système cosmogonique des deux premiers livres du Mvett. Le Mvett II, notamment, faisant remonter la généalogie du peuple d’Engong jusqu’à l’Incréé. Cela était si troublant que dans l’imaginaire  populaire fang, le Dieu Suprême a pour nom Zame Ye Mebegue, simplement esprit dans la généalogie du mvett.

L’entretien qui suit est antérieur à la sortie du Mvett III (L’Harmattan, 1993) dans lequel Tsira NDONG a repris la généalogie du peuple d’Engong qu’il nous livrait en 1989.

A la base la spiritualité africaine, il y a l’homme. C’est lui d’abord qui doit se déterminer par rapport  à ce qu’il est, à sa terre d’origine et à son ascendance. La maîtrise de la généalogie devient alors capitale, car c’est ce qui permet à l’homme de se définir et d’affirmer son appartenance au monde. Le rappel du lien organique qui le rattache à ses ancêtres est le point de départ d’une aventure spirituelle qui conjoint l’homme et le cosmos et, à la fin, le relie au Créateur : Eyô.

L’apprentissage de la généalogie devient, à partir de cet instant, une étape importante de l’acquisition du savoir dans la société traditionnelle. Il fonde l’être au monde de l’individu qui doit se situer, non seulement dans un espace géographique, mais aussi dans une chaîne filiale qui conditionne sa socialité. Ce n’est pas surprenant que les joueurs de mvett, véritables maîtres de la parole en milieu traditionnel, fassent de la connaissance de la généalogie une condition de la maîtrise de leur art oratoire. C’est ce que souligne, entre autre, Tsira NDONG NDOUTOUME, lui qui tenait à livrer, au soir de sa vie, la part d’héritage heuristique reçue de ses maîtres mvett.


Réalisé par Nicolas MBA-ZUE Nicolas

Récit transcrit pour MoneFang.Com by Abess danghers

 

LA SPIRITUALITE EN PAYS FANG


ENTRETIEN AVEC TSIRA NDONG NDOUTOUME

MBA-ZUE : Dans le Mvett II , vous faites remonter l'origine du monde à l'Incréé, c'est-à-dire Dieu. Dans Le mvett  pourtant, cet incréé n'existe pas dans la généalogie des hommes d'Engong. Pourquoi dans le mvett II uniquement ? Cet incréé existait-il dans la cosmogonie fang, ou est-ce une influence du christianisme occidental ?

Tsira NDONG: Dans la généalogie du mvett, je commence par mon nom: Ndong Ndoutoume, Ndoutoume Medzoa, Medzoa Metoulou, Metoulou Me Zome, Zome Engongha, Engongha Mone Mvak, Mone Mvak Essone, Essone Angüé, Angüé Vioro, Vioro Metéé, Metéé M'Essango, Essango Agé Agé Aloughou le coq qui chanta, je n'étais pas. Ce qui signifie [chez les Fangs] que l'homme ne peut pas connaître le premier matin de la vie, c'est-à-dire le commencement, ni le premier matin de sa vie.

Dans le mvett, Eloughou veut dire louange, c'est-¬à-dire celui qui loua son père. Le père, c'est Dieu. Chez les Yengü, on s'arrête à Eloughou, y compris dans les rites d'initiation

Les rites d'initiation commençaient par le rite Kpwé qui s'adressait aux enfants de 8 à 13 ans. Ensuite venait l'initiation au Ndong Mba pour les 15-21 ans. L'initiation au Melan, qui est le culte des ancêtres, s'adressait aux adultes de plus de 20 ans (jusqu'à 30 ans). Dans ces rites initiatiques, on apprenait d'abord la généalogie de la famille, jusqu'à Eloughou par exemple si vous êtes Yengü, Mbwale si vous êtes Essangui.Eloughou Zame pour les Yengü, Mbwale Zame pour les Essangui. Mbwale veut dire le témoin, Eloughou la louange. Il y a des mots similaires dans toutes les tribus. Dans l'initiation du mvett, nous allons plus loin. Jusqu'à Zame. Zame qui est le dieu de la terre, des hommes et du souffle, le souffle de vie; c'est un dieu. Ensuite Zame Ye Mebeghe, Mebeghe Me Mkpwè, Mkpwè Zokomo, Zokomo Mbè, Mbè Mgbwè, Mgbwè Bikoko, Bikoko Bi Dzop, Dzop Biyeme-Yema, Biyeme Yema Mi Nkour, Minkour Mi Aki, Aki Ngoss, Ngoss Eyô ; Eyô, l'Incréé. Arrivé à Eyô, nous commençons d'abord par les grands êtres: Zame d'abord, le dieu de la terre, des hommes et du souffle. Ensuite Zame Ye Mebeghe, Mebeghe Me Mkpwè, Mkpwè Zokomo, Zokomo Mbè, Mbè Mgbwè, Mgbwè Bikoko. Cela fait sept grands êtres, ou sept dieux, si vous préférez. Ils ne sont pas comme les dieux grecs; les nôtres vivent et sont toujours vivants. A partir de Mgbwè Bikoko, nous entrons dans le ciel.

Bikoko Bi Dzop. Dzop, c'est le ciel; Bikoko, ce sont les nuages que nous apercevons. Dzop Biyeme-Yema ; Biyeme-Yema signifie d'abord les grands espaces, c'est-à-dire les grands vides. Ce sont les vides interplanétaires. Biyeme-Yema Bi Nkour. Nkour ici, ce n'est pas le brouillard, comme on le traduit cou¬ramment. Minkour ici, c'est l'équivalent de la voie lactée, c'est-à-dire une galaxie ou une constellation. C'est ce qu'on appelle Nkour dans le mvett.

Mais il n'y a pas qu'une constellation dans le mvett. La voie lactée chez nous s'appelle par exemple "Ndzong Be Kuma", le chemin des riches, éclairé par une multitude de lanternes qui sont les étoiles. Après les galaxies, on arrive à Minkour Mi Aki, qui est comme un oeuf. En réalité, c'est une grande sphère dont les limites ne sont pas précisées, parce que tellement grande. On l'appelle cosmos en français. C'est Aki Ngoss. C'est donc l'infini, l'incommensurable ; il n'a pas de limite ni de fin.

Quand je lis certains livres, ce n'est pas, comme on pour¬rait le croire, pour reproduire ce qui y est dit, mais pour savoir ce que pensent les Européens de ces phénomènes. Moi je n'ai fait ni de hautes études, ni l'astronomie; mais il faut que je sache ce qu'ils en pensent eux aussi. Mes connaissances sont des connaissances purement mvett. Nous arrivons donc à Aki Ngoss, le cosmos. Il n'est pas le commencement. Il a un commencement. Il sort de Ngoss, le cuivre ou l'or. Chez les Fangs, on suppose que le cosmos porte un anneau d'or ou de cuivre. J'ai été agréablement surpris en parcourant certains livres d'astronomie de découvrir que certaines planètes du système solaire comme Saturne portent un anneau. Pour nous, cet anneau a la couleur de l'arc-en-ciel. Il ressemble à l'arc-en-ciel qui a la forme d'un anneau. Mais l'or ou le cuivre, c'est aussi la matière. Le cosmos physique sort donc de la matière. Nous verrons comment il sort de la matière. Terminons d'abord avec la généalogie. Ngoss , cette matière, est sortie de qui? On dit Ngoss Eyô. C'est Eyô qui est chez nous l'Incréé, parce qu'on ne peut pas le déterminer ; personne ne l'a vu ; on ne sait pas comment il a commencé ; on ne peut pas le savoir. Chez nous, les grands maîtres mvett savent qu'Eyo existe car ils l'entendent parler. Eyô parle aux grands maîtres. Le maître mvett est l'initié accompli. Eyô lui parle donc. C'est à partir de ce moment que nous savons qu'Eyô existe. Mais personne ne l'a vu, pour la simple raison qu'il parle en nous-même. Il ne nous parle pas comme quelqu'un qui serait assis là, à côté de moi. Il nous parle en nous-même et nous l'entendons parfaitement comme vous m'entendez en ce moment. C'est à ce niveau que se situent les grands maîtres. Mais tout cela était gardé secret. Ce n'était pas à la portée du profane, mais réservé aux maîtres. Si j'ai pris la décision de le publier maintenant, c'est par crainte que cette culture ne disparaisse définitivement. C'est pourquoi je publierai certaines choses dans mon prochain ouvrage (Le mvett III). Ce sont des choses que les joueurs de mvett ne disent pas. Ceux qui connaissent ne le disent pas quand ils jouent du mvett. Quand on joue du mvett, on fait de la bonne littérature; on n'y aborde donc les problèmes spirituels que d'une façon superficielle. Mais puisque les vieux maîtres dispa¬raissent, et que je me trouve être l'un des rares maîtres mvett encore en vie - je ne le joue plus comme je le faisais autrefois à cause du mal d'oreille qui m'empêche de suivre la tonalité des cordes, les sons de l'instrument mvett - il me faut donc révéler cette connaissance.

Tout ce que le joueur mvett, l'artiste mvett dit au moment de sa prestation à son auditoire ne révèle pas exactement sa connaissance. Il y a des choses qu'il faut cacher. Ce sont des choses secrètes qui restent entre les joueurs de mvett. Ce n'est d'ailleurs pas à n'importe quel joueur de mvett à qui l'on appre nait ces choses. Mon père initiateur mvett, Zwé Nguema, ne m'a appris l'existence d'Eyô qu'en 1960. J'étais déjà un grand joueur de mvett - j'en jouais depuis 1948 ! Ce n'est donc qu'en 1960, c'est-à-dire 12 ans plus tard, alors que j'étais déjà un maître mvett, jouais lors des retraits de deuil, passais des nuits en¬tières à jouer du mvett, à conter du mvett. En 1960, quand il a su qu'il allait bientôt s'éteindre, il m'a appelé pour me trans¬mettre le mvett. Il m'a transmis le mvett, et c'est à partir de ce moment que j'ai su. Il m'a dit: "Continue, continue jusqu'à ce que tu entendes." J'ai continué, et j'ai entendu. Quand ? A partir de 1973. De 1960 à 1973, ça fait long. C'est à partir de 73 que j'en entendu; mes oreilles se sont ouvertes. Non pas celles qui sont fermées maintenant, c'est-à-dire les oreilles physiques, mais celles qui sont à l'intérieur, les oreilles spi¬rituelles; elles se sont ouvertes de l'intérieur; mes yeux éga¬lement. Ca ne peut s'ouvrir que de l'intérieur.

Eyô, lorsqu'il a créé le monde, a appelé Oyono Ada Ngone qui est pour nous le premier grand maître du mvett, et il lui a dit: "Regarde comment je fais le monde". Il a pris le cuivre; il a malaxé le cuivre, ou l'or ; il l'a malaxé dans les mains, et il a dit à Ada Ngone : « Est-ce que tu vois ce que je fais ? » Oyono Ada Ngone a répondu : « Oui. » Il lui a demandé : « Qu’est-ce que je fais ? » Oyono Ada Ngone a répondu :

Tu malaxes le cuivre.

- Qu'est ce que je vais en faire ?

- Tu vas certainement en faire une masse (akona).

- D'accord, je vais faire l'akona (une masse).

Quand la boule de cuivre a pris la forme d'un oeuf, c'est-à-dire vaguement sphérique, il a dit à Oyono Ada Ngone : « Je vais enfermer Ossimane, Nyeman (l'Intelligence) dans l'oeuf de cuivre". Il a pris l'Intelligence - Oyono Ada Ngone ne l'a pas vue, puisqu'elle n'est pas visible - et l'a enfermée dans l'Aki Ngoss, oeuf de cuivre. Il a dit à Oyono Ada : "J'ai enfermé l'Intelligence. Je vais dire quelque chose à l'Intelligence puisqu'elle n'a pas de limite et qu'elle peut tout faire, il fau¬drait la discipliner pour qu'elle ne fasse que ce qui est bon, ce qui est juste, c'est-à-dire qu'elle ne se libère pas totalement sans Pouvoir pour la discipliner. Il a donc dit à l'Intelligence: "Sors de l'oeuf de cuivre par tes propres moyens". L'Intelligence a répondu: "Je ne peux pas sortir"

- Mais pourquoi tu ne peux pas sortir ?

- Je vois bien comment sortir, mais il me manque quelque chose.

- Que te manque-t-il ?

- Il me manque la Volonté et la Puissance (Avan et

Eyinenga) .

Alors Eyô a dit: " Je t'envoie la Volonté et la Puissance. Appuie-toi dessus et agis pour sortir"

Puis Eyô a enfermé la Volonté et la Puissance dans Aki Ngoss avec l'intelligence. L'intelligence s'est mise sur les deux et il y a eu une explosion. Aki Ngoss a explosé. Après Eyô a dit à l'Intelligence: « Tu es disciplinée maintenant. Si tu fais n'importe quoi, je retire la Volonté et la Puissance et tu ne feras plus ce que tu voudras. Cependant continue mon oeuvre».

Après l'explosion, les débris se sont éparpillés dans l'espace cosmique et ont formé ce que nous pouvons apercevoir. Evidemment une telle explosion suppose de la chaleur, de l'énergie. C'est la Puissance qu'Eyô avait enfermée dans Aki Ngoss. L'Intelligence a donc continué l'oeuvre d'Eyô. Eyô lui a dit : « Dès que tu auras tout fait, il me faudra un être ayant l'intelligence ; tu lui donneras l'intelligence, tu lui donneras la volonté, tu lui donneras l'énergie, la puissance, pour qu'il puisse me connaître et voir ce que j'ai fait, pour qu'il sache que j'existe, que c'est moi qui suis, que je suis le seul à être, que tout émane de moi ». Alors l'Intelligence a continué d'étendre le cosmos, a fait les galaxies, les étoiles, les soleils, comme nous le savons. Puis il y a eu la terre. Les grands joueurs de mvett appellent la terre Si Eyô, parce que la terre émane directement de l'explosion d'Aki Ngoss ; le soleil, Nlo Dzop Eyô ; la lune Ngon Eyô.

La terre ayant été faite, Eyô a dit à l'Intelligence : « Tu vas me créer non plus les grands êtres - moi-même je m'en occupe -, mais un être qui pourra parler et qui pourra utiliser tes facultés à toi, Intelligence, et à qui je transmettrai, par le canal d'un autre être autrement supérieur, Zame, qui va com¬mander cette terre, le Pouvoir; Zame préparera la place que cet être que tu vas engendrer, que tu vas créer, occupera dans le ciel». C'est pourquoi on dit chez les Fangs que c'est Zame Ye Mebeghe qui prépare les places dans le ciel.

Eyô a donc donné à l'Intelligence un pouvoir créateur illimité. Lui-même surveillait. Pour les grands maîtres mvett :

1 – Eyô éñan' ayo

2- Eyô éñan' ozan

3- Eyô éña nga yo dzom' ase

4- Eyô a nga yô ane vio

5- Eyô a nga yô biom bise biyüla

6- Eyô éñe ave

7- Eyô éñe avè

8- Eyô ane dzom' ase été

9- Dzom' ase én’ Eyô été

10- Eyô éñe adzo'

11- Eyô éñabo

12- Eyô ñina ayüin ayüin

13- Eyô ñina anii anii

14- Eyô abo an’ akomo

15- Dzom a dzom, mor a mor, nsisim a nsisim

16- Bé va yem an' Eyô ane

17- Eyô éñane

Réalisé par Nicolas MBA-ZUE Nicolas
Récit transcrit pour MoneFang.Com by Abess danghers

1. Eyô est au-dessus de toute chose

2. Il est au centre de toute chose

3- C'est Eyô qui a vomi, qui a fait sortir de lui-même toute chose

4- Eyô s'est multiplié comme la germination spontanée des champignons

5- Eyô donna le nom à chaque chose

6 - C'est Eyô qui donne

7 - C'est Eyô qui retire

8 - Eyô est dans toute chose

9 - Toute chose est dans Eyô

10 - C'est Eyô qui dit

11 - C'est Eyô qui agit

12 - Si Eyô décide de tuer, il tue

13 - Si Eyô décide de faire vivre, il fait vivre

14 - Eyô agit comme bon lui semble

15 - Aucune chose, aucun homme, aucun esprit

16 - Ne peuvent savoir comment est Eyô

17 - c’est Eyô qui est 1

Voilà résumée toute la spiritualité renfermée dans le mvett. Tous les joueurs de mvett ne le connaissent pas. C'est réservé aux grands maîtres mvett. L'Etre créateur est dans toute chose, et toute chose est dans lui. A partir de ce momoent-là, chacun peut se situer. Mais il y a autre chose, que je publierai prochainement : comment cela a-t-il été transmis à l'homme? Nous avons vu comment l'Intelligence est partie en continuant l'oeuvre d'Eyô, c'est-à-dire l’œuvre de création, qui continue, puisque les hommes continuent de naître ; les scientifiques disent que le cosmos continue de s'élargir. Nous n'entrons pas dans ces détails. Lorsque l'Intelligence - qu'on appelle aussi Nsisim, ou Esprit de Dieu, simplifié Nsisim Zame (Esprit de dieu) pour que le profane comprenne, mais en réalité Nsisim Eyô - a demandé à Eyô : « J'ai créé l'homme. Mais par quel moyen va t-il connaître que tu es ? Parce que l'homme est dans le physique. Il est donc périssable, mortel ». En effet, lorsqu' Aki Ngoss avait explosé, Eyô dit : « Voilà, la matière est morte. Aki Ngoss est mort ». Tout ce qui est matière mourra donc, car périssable. Seulement voilà: si Aki Ngoss est mort, il renaît cependant dans moi Eyô. C'est ce que vous appelez en français macrocosme. L'homme, quant à lui, est un microcosme. Pour nous, l'homme a Eyô en lui et il est dans Eyô. Il est appelé à vivre éternel¬lement, mais hors de la matière. C'est pourquoi Eyô a expliqué à l'Intelligence - son Intelligence -, à son Esprit, pour que son esprit l'explique à son tour à l'homme. Car l'Esprit a mis l'Intelligence dans la tête de l'homme, dans le cerveau plus exactement, comme Eyô avait enfermé l'Intelligence, la Puissance et la Volonté dans Aki Ngoss. Chez nous, c'est le cerveau qui représente, qui est le symbole d'Aki Ngoss. L'Intelligence étant mise dans le cerveau - du moins une certaine quantité d'intelligence, en plus de l'énergie (puissance ou force) et de la volonté -, l'Intelligence a demandé: « Mais comment l'homme va-t-il savoir qu'Eyô existe? Bien sûr tu es en lui, et lui est en toi ; mais comment va-t-il te connaître »? Alors Eyô lui a répondu : « Il verra d'abord la lumière du soleil; il verra ce monde physique, et il y vivra. Pour me connaître, il faudra le ramener à moi ». L'Intelligence a dit: « Oui, mais il va mourir. Il ne pourra donc pas te connaître dans cette vie physique ».

Eyô lui a dit : « Si ! Il pourra me connaître"

" Comment ? » a demandé l'Intelligence.

«  Vous êtes dans le physique, a repris Eyô. Le physique comprend l'espace, la mesure, le temps. Dans le monde physique - je ne parle pas de ce qui fait vivre, mais de l'aspect du physique -, il y a donc l'espace, mais surtout le temps. Si tu te trouves à un point A et si tu fixes un point B, ce qui sépare les deux points, c'est la distance. Si maintenant je supprime la distance, je me ramène à un seul point. Si je supprime également le temps, je disparais du physique. Et si je disparais du physique, il n'y a plus ni distance, ni espace, ni temps. Puisqu'il n'y a plus ni espace, ni temps, où est-ce que je me trouve alors ? Je me trouve dans Eyô, dans le Créateur. Il ne peut pas être loin de moi parce qu'il n'y a pas de distance, d'espace. Il ne peut pas avoir vécu dans le passé, puisqu'il n'y a pas de temps; ni dans le futur.

La seule chose qui est, c'est l'instant où je parle, où je pense à Eyô. Eyô est donc dans moi. L'Intelligence lui a demandé : « Est-ce que tu pourras lui parler ? » Eyô a répondu: « A certaines conditions ». Ces conditions-là sont réservées au maître mvett. Vous comprendrez donc que le mvett n'est pas réservé à n'importe qui. Il faut s'initier, c'est-à-dire suivre cet enseignement. S'initier signifie suivre un enseignement, aller dans un établissement d'enseignement, comme nous faisons actuellement. Mais l'enseignement était secret. Tout enseignement chez nous était secret; même le Kpwè n'était pas divulgué. Mais nous vivons une autre époque où on ne tient pas compte des liens. C'est pour cela que la science elle-même constitue maintenant un danger pour l'humanité. En spiritualité pure, il n'y a pas d'intermédiaire entre le Créateur et son créé. Il y a une seule chose: le créé a besoin d'un maître. Un maître qui connaît et qui l'enseigne. Ensuite, à un certain niveau, le maître laisse le soin au néophyte, à son élève, de continuer tout seul. En le laissant continuer, le maître sait qu'il a déjà réuni les conditions qui le mettront en contact direct avec Eyô. Evidemment c'était un secret ... c'est un secret; même actuellement, je ne peux pas enseigner ça n'importe comment à n'importe qui. Ca ne se fait pas.

MBA-ZUE : La spiritualité africaine n'accorde aucun culte à Dieu, mais à l'Ancêtre. Peut-on trouver des expli¬cations à cela ?

Tsira NDONG : Oui. Le profane, chez les Fangs par exemple, ne s'adressait pas directement à Dieu, parce qu'il était considéré comme impur. Il avait donc besoin d'intermédiaires, et ces intermédiaires sont les ancêtres qui sont partis- ils ne sont pas morts, pour le Fang. Chez les Fangs, un vieux ne dit pas : "Je vais mourir", mais : "Je vais partir". Parce qu'il se sait immortel. Il sait qu'il va monter dans le ciel, dans Eyô, dans Zame. A ce moment-là, on avait besoin des ancêtres qui sont partis avant et qui, de ce fait, se trouvent plus près de Dieu et peuvent intercéder auprès de Dieu. La chose était conçue comme cela. Et c'est pourquoi on leur adressait un culte.

En ce qui concerne le mvett, les choses sont différen¬tes. Il ne s'agit même pas d'un culte. Ce sont des entretiens. On s'entretient avec le Créateur. Ca semble bizarre, mais c'est ainsi.

MBA-ZUE : Quelle place occupe l'Evu dans le culte fang? En  trouve-t-on une résonance dans le mvett ?

Tsira NDONG : Il y a dans ce mot Evu, plusieurs explications. Il y a le mauvais Evu qui signifie vampire, et il y a le bon Evu. Le mauvais Evu, c'est celui qui, dit-on, envoûte les gens, fait du mal. Il est penché vers le mal. Le bon Evu, le bon vampire, c'est celui qui est penché vers le bien. Dans le culte des ancêtres, chez les Fangs par exemple, les vrais initiés étaient ceux qui avaient le bon Evu. On écartait systématiquement les méchants, les mauvais, ceux qui avaient la réputation de "manger " les autres. On les écartait donc. Il y avait des antidotes contre les mauvais Evu. S'ils venaient dans le culte du byeri par exemple, ils étaient immédiatement repérés, et s'ils ne faisaient pas attention, l'Evu était percé de lances et l'homme mourait inévitablement. Si un joueur de mvett se permet d'avoir l'Evu qui "sort" dans la nuit comme on dit, il est assuré d'une mort certaine.

Ni Zame, ni Eyô ne peuvent supporter une sorte de pouvoir parallèle qui vient s'immiscer dans le mvett, le mvett étant considéré dans son fond comme la pureté immaculée.

Oyem, le 16 août 1989